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Danse et mémoire du corps


    La danse m’avait sauvée de mon chagrin. Aujourd’hui, je savais que danser m’aiderait à reprendre goût à la vie.  Ce serait peut-être long mais je croyais à son pouvoir de guérison. Cette croyance était tellement ancrée en moi qu’elle me permettrait de soigner mes blessures, pas seulement celles du corps, celles de l’âme aussi. J’ai posé mon bol vide par terre et je me suis allongée sur le large tapis descendu du grenier pour couvrir une partie de la terrasse abritée.

 

    Etendue sur le dos, les yeux fermés, j’imaginais mon souffle parcourir ma jambe droite depuis mes orteils, je remontai sur l’avant de mon pied encore insensible et mentalement, je libérai mon genou de l’étau qui s’était refermé sur moi depuis presque deux ans. Enfin, je choisissais de ne plus être prisonnière de ma propre histoire.

 

   Avec application, j’ai repris les exercices d’échauffement au sol que je connaissais par coeur. Glissez... Jambes tendues, pied flex, pointé et allonnngeeee, reviens... Et maintenant, genoux, tu déplies... Indépendamment de mes capacités, je reprenais contact avec mes sensations physiques, la brûlure dans ma jambe se fondait dans l’étirement du mollet comme une déchirure. Je devais composer avec mon ressenti, oublier la douleur. Encore... étireeeee... Respecter les limites de ce qui était acceptable, éviter l’insupportable. La limite est si fragile entre les deux. Et pourtant, cette différence subtile et dérisoire pouvait briser un rêve ou même une vie.

 

    Les jours d’été passaient et chaque matin, je recommençais et je poursuivais un peu plus loin. Sur le ventre, en appui sur les mains, le buste redressé, ma colonne ondulait dans un mouvement fluide et continue. J’avais l’impression qu’une vague déroulait son écume du bassin à ma tête. Elle prenait même son origine beaucoup plus loin, à la pointe des orteils. Ça me faisait penser aux vagues à la pointe de Tréfenec.

 

    Concentrée sur mes sensations, je voyais à peine les ailes des parapentes, aux couleurs vives dans les airs, en suspens comme une phrase interrompue par une émotion trop vive.

    Un autre jour, malgré le ciel sombre et menaçant,  j’ai continué dehors. Je retrouvais la grâce liée au mouvement même par terre. Le visage contre le tapis, je rampais et pourtant, ça n’avait rien d’humiliant. J’avais l’impression de me fondre dans la matière. Je repassais au ralenti sur le dos, et à nouveau sur le ventre, puis glissais toute en retenue. Chaque mouvement, au-delà des muscles et des articulations, mobilisait les tissus en profondeur, et me libérait de la honte et du dégoût, ces émotions inavouables, prises au piège dans un réseau de membranes fines et blanches, lieu de stockage d’une souffrance qu’il avait fallu taire.

 

     Avec madame Dawlawick, le voile de la parole s’était levé au-dessus d’un trou noir. Avec la danse, je réussirai à libérer les mémoires de la sieste emprisonnées à l’intérieur de mon corps.

 

   Un matin, la lumière à travers les nuages annonça la fin de l’été. Je me sentais prête à explorer le monde malgré mes appuis encore incertains.

Christine Beillon

Roman

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